Nous sommes à trois jours du début de la Semaine Sainte et notre itinéraire de Carême touche à sa fin. Je voudrais consacrer la méditation d’aujourd’hui au thème de la juste attitude face à la souffrance, qui est sans aucun doute l’une des leçons les plus difficiles sur notre chemin à la suite du Christ. Pour aborder ce sujet, nous nous appuierons sur une excellente méditation du père Gabriel de Sainte Marie-Madeleine, O.C.D., tiré de son livre « Divine Intimacy ».
Le secret pour supporter correctement la souffrance consiste en grande partie à s’oublier soi-même et à renoncer à soi-même, à ne pas penser à soi et à ce que l’on souffre, mais à s’abandonner à Dieu. Celui qui s’occupe de ses souffrances et concentre son attention sur elles, devient incapable de les supporter sereinement et courageusement. Jésus a dit : « À chaque jour suffit sa peine » (Mt 6,34). Essayons donc, jour après jour, instant après instant, de supporter les peines et les souffrances que Dieu met sur notre chemin, sans penser à ce que nous avons souffert hier et sans nous inquiéter de ce que nous devrons souffrir demain.
Même si la souffrance est grande, ne la surestimons pas, ne l’exagérons pas, ne cédons pas à la tendance malsaine de nous complaire dans notre propre souffrance, ne nous arrêtons pas pour la regarder, la décomposer et la méditer dans ses moindres détails. Nous paralyserions ainsi l’esprit de sacrifice et perdrions la force d’accepter et de surmonter la souffrance. Ceux qui sont trop préoccupés par leur propre douleur deviennent souvent insensibles et indifférents à la souffrance des autres.
Pour lutter contre les tendances égocentriques, il faut sortir de soi et du cercle de ses propres souffrances, et se préoccuper de la souffrance des autres. Dans les moments de découragement, l’effort pour aider les autres est un moyen très efficace pour trouver la force de porter sa propre croix. Nous devons toujours garder à l’esprit que nous ne sommes jamais seuls à souffrir. Si nos souffrances sont grandes, il ne manque jamais de personnes qui souffrent encore plus. Nos souffrances sont une goutte d’eau dans l’océan de la douleur de toute l’humanité, et ne sont presque rien comparées à la Passion de Jésus.
Celui qui se préoccupe trop de sa propre souffrance finit par la rendre encore plus amère, s’y noie et laisse s’éteindre tout élan de générosité. En revanche, celui qui est capable de s’oublier lui-même, garde son équilibre et est toujours capable de penser davantage aux autres qu’à lui-même. Il reste ainsi ouvert à l’amour et à la magnanimité envers Dieu et son prochain. L’âme oublieuse d’elle-même sait souffrir avec un grand courage et en tire le plus grand profit pour sa sanctification.
Malgré tous les efforts pour dépasser sa propre souffrance et oublier ses peines, il peut arriver des moments d’angoisse si profonde, de ténèbres si denses, que la pauvre âme ne sait plus comment continuer, d’autant plus que l’horizon, au lieu de s’éclaircir, s’assombrit de plus en plus. Dans ces cas-là, il ne reste plus qu’à se jeter dans les bras de Dieu, dans l’obscurité. Nous sommes si pauvres et si faibles que nous avons toujours besoin d’un soutien. Même si l’âme s’oublie et ne pense plus à elle, elle a toujours besoin de quelqu’un pour la soutenir et penser à elle. C’est Dieu lui- même! Il ne nous oublie jamais, il connaît notre souffrance jusqu’au plus profond, il voit notre besoin et notre faiblesse, et il est toujours prêt à aider celui qui se réfugie en lui.
Bien sûr, nous pouvons aussi chercher du réconfort et de l’aide auprès des créatures, mais ne nous trompons pas : elles ne nous comprendront pas toujours et ne seront pas toujours là pour nous. Mais si nous nous tournons vers Dieu, nous ne serons jamais déçus. Même s’il ne change pas notre situation et ne supprime pas notre souffrance, il réconforte intérieurement notre cœur, même si c’est de manière cachée et silencieuse, et nous donne la force de continuer notre chemin.
« Décharge ton fardeau sur le Seigneur : il prendra soin de toi » (Ps 54, 23). Nous devons adopter cette attitude d’abandon dans les moments de souffrance, et ce d’autant plus que les coups sont rudes. À une plus grande souffrance doit correspondre un plus grand abandon à Dieu ; alors nous ne succomberons pas.
Beaucoup d’âmes exagèrent et dramatisent leurs souffrances, parce qu’elles sont incapables d’y reconnaître la main paternelle de Dieu et ne croient pas suffisamment en sa divine Providence.
Si notre vie, avec toutes ses circonstances, même les plus douloureuses, n’était pas dans la main de Dieu, nous aurions toutes les raisons de craindre. Mais puisque tout est entre Ses mains, nous n’avons pas à avoir peur ou à nous effrayer. L’âme qui est en sécurité en Dieu et qui s’abandonne à Lui est capable de rester calme même dans les plus grandes souffrances, d’accepter avec sérénité les événements les plus tragiques, de souffrir calmement et courageusement, parce que Dieu la soutient toujours.